Article publié par La Presse
Sa mère, Élise Crevier, préfère ne pas s’étendre sur les détails, mais les conséquences de cette intervention se sont révélées préoccupantes.
Sasha est née avec une mutation génétique qui s’exprime chez elle par une déficience intellectuelle sévère. Elle ne parle pas et demeure très peu autonome.
«Après ce traumatisme, elle est devenue insoignable. On ne pouvait plus lui brosser les dents. On ne pouvait même plus aller chez le médecin. Aussitôt qu’elle voyait des appareils, des gens avec des masques, elle paniquait. Complètement.»
– Élise Crevier, gestionnaire en entreprise.
Le temps n’a pas vraiment arrangé les choses. Un jour d’hiver, alors que Sasha avait une carie, la dentiste a dû sortir de la clinique pour vérifier la bouche de l’enfant. Sasha refusait d’entrer. La carie a été réparée sous anesthésie générale.
Élise Crevier en est venue à s’inquiéter pour l’avenir de sa fille, qui grandissait, mais refusait toujours d’être soignée (parfois avec vigueur). Il lui fallait trouver un moyen de la désensibiliser.
Une approche qui a porté ses fruits
Après avoir sollicité plusieurs cliniques, qui lui répondaient ne pas avoir l’expertise pour travailler avec des enfants comme Sasha, Élise Crevier a trouvé la clinique Spectrum, qui a accepté de relever le défi. Pendant un an et demi, une intervenante est venue chaque semaine à la maison. En parallèle, Élise et Sasha jouaient chaque jour au dentiste.
«On avait une chaise de plage dans le salon, pour imiter le fauteuil de dentiste. Dentifrice, brosse à dents, soie dentaire, miroir… On augmentait le nombre de secondes graduellement. Petit pas par petit pas.»
– Élise Crevier
Mère et fille ont même visité des bureaux de dentiste, près de la maison. Juste pour regarder, pour explorer. « Quand Sasha me tirait et me faisait signe : “fini, fini”, on repartait. »
La patience d’Élise Crevier a porté ses fruits. Il y a deux ans, à l’âge de 14 ans, Sasha était fin prête. Élise Crevier a choisi la clinique Sourires solidaires, à Laval, une clinique communautaire œuvrant auprès des enfants vulnérables et des enfants à besoins particuliers. « La dernière fois, Tasnim a réussi à faire tout l’examen de Sasha », dit fièrement Élise Crevier, rencontrée à la clinique Sourires solidaires, en début d’été, en compagnie de la Dre Tasnim Alami-Laroussi, dentiste et cofondatrice de l’organisme.
Un guide pour donner au suivant
Parce qu’elle n’est pas le seul parent à devoir composer avec le refus d’un enfant à se faire soigner, Élise Crevier a eu envie de donner au suivant. Ça tombe bien : l’équipe de Sourires solidaires avait aussi en tête de rassembler des stratégies, pour les parents. « En clinique, on est content quand on réussit à faire le soin, mais si, à la maison, l’enfant refuse de se faire brosser les dents, on ne règle pas le problème à la racine », souligne la Dre Tasnim Alami-Laroussi.
Élise Crevier et l’équipe de Sourires solidaires ont donc lancé récemment le guide Les petits pas de Sasha, dont le but est de favoriser l’acclimatation des enfants aux soins dentaires.
Le guide, offert gratuitement en ligne, est destiné à la fois aux parents et aux professionnels, et peut servir aux enfants à besoins particuliers, mais aussi aux enfants anxieux et aux tout-petits qui en sont à leur premier rendez-vous chez le dentiste.
La méthode se nomme DÉTÉ (découverte, éducation, tour de rôle, exécution) et comprend six exercices (brosse à dents, dentifrice, soie dentaire, brosse à dents électrique, miroir, radiographie), très bien expliqués.
Le site web propose aussi une foule de ressources ainsi qu’un formulaire à remplir avant la visite chez le dentiste, pour documenter les défis actuels de l’enfant et les stratégies aidantes. Les dentistes de proximité qui ont envie de travailler avec cette clientèle peuvent s’en servir.
« Les enfants avec un trouble du spectre de l’autisme, des déficiences intellectuelles, des troubles d’anxiété graves ou un trouble déficitaire de l’attention ont souvent en commun l’anxiété. L’idée, c’est donc de les préparer, et aussi de rester toujours dans le positif », explique la Dre Tasnim Alami-Laroussi.
« Et il y a aussi tout l’aspect humain, renchérit Élise Crevier, c’est-à-dire respecter le rythme de l’enfant. »
Grâce à diverses sources de financement (revenus, subventions, philanthropie, commandites), Sourires solidaires peut compter sur une ergothérapeute, des éducatrices, un centre éducatif, une salle de repos… Comment une clinique dentaire de proximité habituelle peut-elle tirer son épingle du jeu ? Selon la Dre Tasnim Alami-Laroussi, pour la majorité des patients à besoins particuliers, de petites adaptations suffisent à rendre le soin plus agréable, mieux adapté. « Une couverture sur une chaise, un toutou lourd, une balle antistress, des lumières tamisées, des pictogrammes… »
Sourires solidaires est aussi un milieu de stage pour les étudiants en médecine dentaire et transmet volontiers son expertise aux cliniques intéressées. « Quand Sasha a vu la couverture douce, sur la chaise, ça a fait la différence », ajoute Élise Crevier.
La Dre Tasnim Alami-Laroussi aimerait que l’État reconnaisse la désensibilisation comme un code qui pourrait être facturé à la Régie de l’assurance maladie du Québec, pour favoriser les rendez-vous prolongés avec les enfants à besoins particuliers.